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L'association SANTÉ ET MÉDECINE DU TRAVAIL a pour objet de développer une réflexion et de permettre un échange sur les pratiques professionnelles et leurs conséquences scientifiques, sociales et éthiques pour agir sur l'évolution de la médecine du travail. Elle est ouverte aux médecins du travail et aux spécialistes scientifiques et sociaux se préoccupant de la médecine du travail.
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Inaptitude, un piège à désamorcer : en finir avec " l'aptitude "

Par Alain CARRE

Aout 2013

Historiquement l'aptitude au poste de travail est la survie, après 1946, de pratiques de sélection médicale de la main d'œuvre qui existaient antérieurement dans certaines entreprises pour lesquelles des médecins sélectionnaient les travailleurs sur de supposés critères de santé. Des liens particulièrement glauques relient cette notion à " l'hygiénisme médical " et à " l'eugénisme " qui prévalaient, notamment, dans la sélection médicale des travailleurs appelés, à partir de 1942, à travailler en Allemagne nazie dans le cadre du STO. La fonction de sélection par l'aptitude a été utilisée largement et, officiellement, jusqu'en 1975, notamment dans certaines banques. Il n'existe pas de définition réglementaire de l'aptitude et pour cause puisqu'il s'agit d'une pratique honteuse de sélection.

Les employeurs défendent le maintien de ce ticket médical juridique garantissant une relative impunité à exploiter la force de travail. Outre une couverture en responsabilité sur d'éventuels effets du travail sur la santé, ils ont implicitement pour projet de sélectionner au poste de travail des travailleurs plus " aptes " à résister à des conditions de travail parfois insupportables. Le législateur marche dans la combine et en rajoute une couche : pour les travailleurs exposés aux agents chimiques dangereux, le médecin du travail doit porter, sur l'avis d'aptitude, la mention de l'absence de contrindication médicale à l'exposition à ces agents chimiques dangereux. Ainsi, par exemple, le médecin du travail doit certifier que le travailleur n'a pas de contrindication à l'exposition aux cancérogènes, à l'amiante… ! On marche sur la tête et le Conseil d'Etat aussi qui confirmera en 2002 !

 Les employeurs, aidés activement par l'Etat, jouent aussi, avec l'aptitude, à un jeu de hasard assurantiel en misant sur des caractéristiques physiques ou psychiques des individus, par définition aléatoires puisque, au minimum, soumises à l'usure du temps.

C'est là qu'intervient l'inaptitude au poste de travail. Certains veulent y voir une définition en creux de l'aptitude. Serait " apte " qui n'est pas " inapte ". Ces notions ne sont pourtant pas les deux faces d'une même médaille : l'aptitude est une garantie juridique et assurantielle pour l'employeur, l'inaptitude lui permet une gestion médicale de " l'employabilité " du travailleur. Actuellement, le prétexte officiel justifiant l'inaptitude au poste est la mise en sécurité de la santé du travailleur.

Mais, nous l'avons vu lors d'un précédent billet, les moyens du basculement vers une sélection médicale de la main d'œuvre sont présents, en germe, dans la réglementation de janvier 2012, que l'exécutif actuel n'a visiblement pas l'intention de réformer.

Parions que dès le retour d'une mandature plus explicitement favorable aux employeurs, au prétexte de " compétitivité " et de " coût de la main d'œuvre " qui seraient, selon eux, plombé par la prévention et la protection des " inemployables ", se mettrait en place une véritable sélection médicale de la main d'œuvre par des médecins, qui n'auraient plus de médecins du travail que le nom.

Pire encore, le ver est dans le fruit et a même commencé à le dévorer : une étude effectuée en région sur les conséquences de l'inaptitude au poste nous le démontre.

Pour la moitié des salariés inaptes à leur poste de travail la cause médicale de l'inaptitude au poste est liée aux conséquences du travail sur leur santé. Un tiers était âgé de plus de 50 ans. 90% des salariés déclarés " inaptes au poste " sont licenciés, 3% sont admis à la retraite, 1% démissionnent. Seuls 22% retrouvent un emploi mais, deux fois sur trois, il y a perte de salaire. Dans le merveilleux système social actuel, les salariés malades ou usés par le travail sont jetés hors de l'entreprise. L'avenir est déjà là et dans une République d'égalité et de fraternité, la représentation nationale détourne le regard.

Il est pourtant urgent de traduire dans ce domaine ce que depuis 1989, en matière de prévention, et depuis 2002, en matière d'obligation de sécurité, la loi impose aux employeurs : éviter le risque et adapter le travail à l'Homme.

Ces deux principes fondamentaux et le principe général de non-discrimination sur des critères de santé imposent que " l'aptitude au poste de travail ", danger d'exclusion pour les travailleurs, soit abolie. Il faut en finir avec l'aptitude du travailleur : c'est le poste de travail qui doit être qualifié d'apte ou d'inapte à recevoir le travailleur quels que soient son âge, son état de santé, son handicap. Les droits à un emploi et à la protection de la santé sont tous deux inscrits dans la Constitution de la République. Il est attristant de devoir le rappeler.

 

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