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EDITORIAL |
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NOUS RISQUONS D’ASSISTER AU
PASSAGE |
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Nous risquons d’assister au passage de la médecine du travail à la médecine d’entreprise. Faute d’acteurs sociaux et politiques pour ouvrir le débat sur la préservation d’une pratique médicale clinique en médecine du travail ouvrant à la prévention primaire, la médecine du travail pourrait disparaitre comme institution chargée exclusivement de prévenir les altérations de la santé du fait du travail. Prévenir, veiller et alerter sur les effets du travail sur la santé, c’est l’objectif de la médecine du travail, défini par la fonction du médecin du travail qui en est chargé personnellement depuis 1946. Le service de santé au travail nouvellement défini par la loi sénatoriale, va mettre à la disposition des obligations de prévention spécifique des employeurs une partie de ses ressources, qui n’auront plus pour objet exclusif la santé au travail des salariés (nouveau L.4622-1-1). Il structure une inégalité de traitement entre les SST d’entreprises qui ne sont pas concernés, ces dernières disposant de leur propre service de sécurité prévention, et les SST Interentreprises dont une partie des ressources serait mise à disposition des PME-TPE pour l’évaluation des risques de la responsabilité des employeurs de ces entreprises. Comment les médecins du travail pourront-ils exercer dans cette injonction paradoxale ? Il y a un détournement d’objet et de but de la médecine du travail. On passe de la « prévention des atteintes à la santé dans le champ santé/travail », à la gestion des risques pour l’employeur. C’est maintenant le SST qui va limiter l’action du médecin du travail via sa direction patronale et sa nouvelle mission qui prend en compte les contraintes économiques de l’entreprise. Celle-ci génère un véritable conflit d’intérêt avec la mission personnelle du médecin du travail qui n’est pas abrogée. La mission du SST et celle du médecin du travail seraient alors contradictoires entre elles. Façon pernicieuse de brider l’exercice du médecin du travail ! L’objet de la « Médecine du travail » comme institution, indépendante de la contrainte économique des entreprises, serait juridiquement effondré : ..
Où sont donc les moyens de l’indépendance des médecins dans cette relation exclusive ? Que deviennent, après ce texte, les moyens de la protection constitutionnelle de la santé au travail que les médecins du travail avaient pour mission d’assurer ? Cette loi institutionnalise une mise en injonction paradoxale des médecins et plus largement de l’équipe médicale du travail entre :
Indépendance contrainte, moyens inexistants, injonctions paradoxales, rétrécissement des marges de manœuvre, contrôle social anéanti, combien de temps s’écoulera t-il avant la mutation de la médecine du travail, en médecine d’entreprise de sélection médicale de la main d’oeuvre et d’appui en management pour une gestion des risques du seul point de vue économique ? Pourquoi ce projet de destruction de la spécificité exclusivement préventive de la médecine du travail ? Parce que le patronat pense qu’il faut faire disparaître un témoin médical gênant. Alors on ne forme plus de médecins du travail. Des infirmières du travail sans statut n’exerceront même pas dans un secteur médical préservé du SST avec le médecin du travail. C’était le préalable à leur déploiement ! Les conditions d’une médecine exerçant exclusivement pour l’entrepreneur sont créées. La médecine du travail qui devait voir son cadre clarifié (aptitude, gouvernance, indépendance de chaque professionnel, responsabilité), se dissout sans bruit dans la raison économique. La prise en charge médicale de la santé des travailleurs n’est plus sa priorité. L’exécutif qui a rédigé ce texte et les sénateurs qui l’ont ratifié en attente de son passage à l’Assemblée Nationale,prennent, par conséquent, une lourde responsabilité personnelle dans ce qui sera un désastre de santé publique comparable,dans ses effets, à celui de l’amiante. Face à la crise du travail et ses effets délétères, notre société a-t-elle des raisons de craindre l’engagement de responsabilité d’un médecin du travail pour veiller, témoigner, permettre l’action de prévention individuelle et collective ? Le gouvernement et le patronat le pensent. Le minimum serait un débat démocratique. Santé et démocratie sont-elles condamnées à se détériorer de concert ? Cette réforme majeure est-elle si honteuse politiquement qu’elle doive être cachée ? Ne restons pas figés ! Ne nous transformons pas en témoins impuissants ! Nous appelons les médecins du travail à la RÉSISTANCE: si la loi tend à faire de la médecine du travail une médecine d’entreprise, ne lâchons pas les valeurs fondamentales de notre métier. Dominique HUEZ |
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