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L'association SANTÉ ET MÉDECINE DU TRAVAIL a pour objet de développer une réflexion et de permettre un échange sur les pratiques professionnelles et leurs conséquences scientifiques, sociales et éthiques pour agir sur l'évolution de la médecine du travail. Elle est ouverte aux médecins du travail et aux spécialistes scientifiques et sociaux se préoccupant de la médecine du travail.
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l'enfumage de la pénibilité

Pénibilité et départ anticipé à la retraite : une imposture

Par Alain CARRE

Mai 2013
 

Pénible : " qui se fait avec peine, fatigue " : c'est la définition du dictionnaire. C'est pourquoi, vous et moi, nous croyons qu'intégrer la pénibilité du travail dans le calcul de départ à la retraite, c'est permettre à ceux d'entre nous qui exercent des métiers pénibles, fatigants, physiquement ou psychiquement plus durs ou usant, de partir plus tôt en retraite. Perdu !

C'est que le libéralisme et son " management ", ont fait du langage une arme offensive. Autrement dit, le libéralisme, qu'il se déploie, en entreprise, en économie ou en politique, pratique "l'enfumage " par les mots. " Enfumage " fait référence à la technique de l'apiculteur. Pendant qu'avec sa petite soufflette il distrait les abeilles, l'apiculteur leur pique leur miel !

Pour le libéral, néo ou pur et dur, un mot n'a pas la même signification que celle que nous lui donnons. " Pénibilité " est un exemple parfait. Voyons comment la loi sur les retraites définit la pénibilité : Est soumis à pénibilité " tout travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels, déterminés par décret (…), susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé ". Durables et irréversibles ! Mazette !

Pour le député libéral n'est pénible qu'un métier qui détruit votre santé, qui la ruine irrémédiablement, qui vous rapproche de la tombe, bref un métier où vous perdez votre vie à la gagner. Mais alors, que devient l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, qui l'oblige à mettre tout en œuvre pour éviter tout accident du travail ou toute maladie professionnelle ? Envolée, disparue, reléguée au rang d'accessoire. Car ce n'est pas l'usure supplémentaire liée aux travaux pénibles qui est ici visée mais bien les effets irréversibles du travail sur la santé, c'est-à-dire les échecs de la prévention: obligation des employeurs passée à la trappe.

Admettons pour la démonstration. Mais alors, en toute logique, un ouvrier ayant statistiquement une durée de vie amputée de sept ans par rapport à un cadre supérieur et dix ans de vie sans incapacité en moins, vous vous dites que ça va en faire du monde en retraite anticipée. C'est raisonner sans prendre en compte que, dans un cerveau libéral, la calculette tient une place démesurée. Plusieurs obstacles vont opportunément " limiter les dégâts ".

Tout d'abord la liste des facteurs de risques professionnels, susceptibles d'ouvrir droit, a été réduite à la mesure du lobbying des employeurs. Par exemple, alors que la première mouture du texte comportait les risques de la radioactivité, sous la pression d'un lobby, dont je vous laisse deviner la nature, ils ont disparu de la liste finale.

Enfin, pour bénéficier du processus, sans réserve, il faut souffrir d'une incapacité, due à un ou plusieurs accidents ou maladies professionnels, égale ou supérieure à 20%. Autant dire qu'on est une victime sérieuse. Comme par hasard, au même moment, un tableau de maladies professionnelles, celui qui reconnaît les maladies de l'épaule, gros pourvoyeurs d'incapacités élevées, et en nombre, a été tripatouillé pour le rendre plus difficile d'accès.

 Pour les victimes d'incapacités au travail situées entre 10 et 19%, il faut justifier devant une commission ad hoc de dix-sept années (vous avez bien lu !) d'exposition à un ou plusieurs risques de la liste riquiqui. Mission impossible !

 Les rédacteurs du texte peuvent être contents. Alors que la limite fixée devant l'Assemblée par le peu regretté ministre Woerth était de 30 000 départs anticipés par an, le nombre atteint péniblement le millier. Effet d'annonce pour l'opinion naïve, résultats pitoyables pour le tout petit nombre qui regarde au-delà des apparences. Mais le plus important n'est-il pas, pour l'état libéral, que cet enfumage masque la vérité dramatique des atteintes à la santé dues au travail et des inégalités sociales de santé au travail ? Passez muscade ! Ce qui ne se voit pas n'existe pas !

 

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